Marcel Proust et Victor Hugo adeptes des phrases interminables

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On enseigne aux enfants en cours de français de ne pas faire des phrases trop longues, mais certains auteurs classiques n'ont pas vraiment respecté ce principe, comme Victor Hugo dans Les Misérables qui fait une phrase de 823 mots ou encore Marcel Proust dans "A la Recherche du Temps Perdu" qui mit 856 mots à la suite.

Voici la phrase de Proust : Sans honneur que précaire, sans liberté que provisoire, jusqu’à la découverte du crime; sans situation qu’instable, comme pour le poète la veille fêté dans tous les salons, applaudi dans tous les théâtres de Londres, chassé le lendemain de tous les garnis sans pouvoir trouver un oreiller où reposer sa tête, tournant la meule comme Samson et disant comme lui: “Les deux sexes mourront chacun de son côté”; exclus même, hors les jours de grande infortune où le plus grand nombre se rallie autour de la victime, comme les juifs autour de Dreyfus, de la sympathie – parfois de la société – de leurs semblables, auxquels ils donnent le dégoût de voir ce qu’ils sont, dépeint dans un miroir, qui ne les flattant plus, accuse toutes les tares qu’ils n’avaient pas voulu remarquer chez eux-mêmes et qui leur fait comprendre que ce qu’ils appelaient leur amour (et à quoi, en jouant sur le mot, ils avaient, par sens social, annexé tout ce que la poésie, la peinture, la musique, la chevalerie, l’ascétisme, ont pu ajouter à l’amour) découle non d’un idéal de beauté qu’ils ont élu, mais d’une maladie inguérissable; comme les juifs encore (sauf quelques-uns qui ne veulent fréquenter que ceux de leur race, ont toujours à la bouche les mots rituels et les plaisanteries consacrées) se fuyant les uns les autres, recherchant ceux qui leur sont le plus opposés, qui ne veulent pas d’eux, pardonnant leurs rebuffades, s’enivrant de leurs complaisances; mais aussi rassemblés à leurs pareils par l’ostracisme qui les frappe, l’opprobre où ils sont tombés, ayant fini par prendre, par une persécution semblable à celle d’Israël, les caractères physiques et moraux d’une race, parfois beaux, souvent affreux, trouvant (malgré toutes les moqueries dont celui qui, plus mêlé, mieux assimilé à la race adverse, est relativement, en apparence, le moins inverti, accable celui qui l’est demeuré davantage), une détente dans la fréquentation de leurs semblables, et même un appui dans leur existence, si bien que, tout en niant qu’ils soient une race (dont le nom est la plus grande injure), ceux qui parviennent à cacher qu’ils en sont, ils les démasquent volontiers, moins pour leur nuire, ce qu’ils ne détestent pas, que pour s’excuser, et allant chercher comme un médecin l’appendicite l’inversion jusque dans l’histoire, ayant plaisir à rappeler que Socrate était l’un d’eux, comme les Israélites disent de Jésus, sans songer qu’il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme, pas d’anti-chrétiens avant le Christ, que l’opprobre seul fait le crime, parce qu’il n’a laissé subsister que ceux qui étaient réfractaires à toute prédication, à tout exemple, à tout châtiment, en vertu d’une disposition innée tellement spéciale qu’elle répugne plus aux autres hommes (encore qu’elle puisse s’accompagner de hautes qualités morales) que de certains vices qui y contredisent comme le vol, la cruauté, la mauvaise foi, mieux compris, donc plus excusés du commun des hommes; formant une franc-maçonnerie bien plus étendue, plus efficace et moins soupçonnée que celle des loges, car elle repose sur une identité de goûts, de besoins, d’habitudes, de dangers, d’apprentissage, de savoir, de trafic, de glossaire, et dans laquelle les membres mêmes, qui souhaitent de ne pas se connaître, aussitôt se reconnaissent à des signes naturels ou de convention, involontaires ou voulus, qui signalent un de ses semblables au mendiant dans le grand seigneur à qui il ferme la portière de sa voiture, au père dans le fiancé de sa fille, à celui qui avait voulu se guérir, se confesser, qui avait à se défendre, dans le médecin, dans le prêtre, dans l’avocat qu’il est allé trouver; tous obligés à protéger leur secret, mais ayant leur part d’un secret des autres que le reste de l’humanité ne soupçonne pas et qui fait qu’à eux les romans d’aventure les plus invraisemblables semblent vrais, car dans cette vie romanesque, anachronique, l’ambassadeur est ami du forçat: le prince, avec une certaine liberté d’allures que donne l’éducation aristocratique et qu’un petit bourgeois tremblant n’aurait pas en sortant de chez la duchesse, s’en va conférer avec l’apache; partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partie importante, soupçonnée là où elle n’est pas, étalée, insolente, impunie là où elle n’est pas devinée; comptant des adhérents partout, dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne, sur le trône; vivant enfin, du moins un grand nombre, dans l’intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l’autre race, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice comme s’il n’était pas sien, jeu qui est rendu facile par l’aveuglement ou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des années jusqu’au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés; jusque-là obligés de cacher leur vie, de détourner leurs regards d’où ils voudraient se fixer, de les fixer sur ce dont ils voudraient se détourner, de changer le genre de bien des adjectifs dans leur vocabulaire, contrainte sociale, légère auprès de la contrainte intérieure que leur vice, ou ce qu’on nomme improprement ainsi, leur impose non plus à l’égard des autres mais d’eux-mêmes, et de façon qu’à eux-mêmes il ne leur paraisse pas un vice.


Tous les commentaires (94)

Le style "épuré" est à la mode de nos jours. Aussi bien dans la peinture que dans la déco ou dans l'écriture. Chacun son style. Pour ma part le principale c d'accrocher. Long ou court, le plaisir doit être intense

Si l'on enseigne aux enfant qu'il ne faut pas faire de phrases trop longues c'est qu'ils ne s'appellent pas tous Hugo ou Proust :D

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Cela me rappelle l'anecdote sur des livre entier faite sans point. Donc en une phrase, mais les ponctuations faisaient office de point, si ma mémoire est bonne.

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la phrase et tellement longue qu'elle est découpée en je ne sais combien de morceaux dans le presse-papier de ma tablette (Android 4.1.2)

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a écrit : Je suis prof des écoles et je donne une phrase de dictée à apprendre et à écrire chaque semaine. Je pense que je viens de trouver la prochaine... :-) Quel sadisme :-))

Je sais que ce n'est pas une seule phrase, mais l'anecdote m'a fait penser à ça directement :
"Mais, vous savez, moi je ne crois pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise situation. Moi, si je devais résumer ma vie aujourd'hui avec vous, je dirais que c'est d'abord des rencontres, des gens qui m'ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j'étais seul chez moi. Et c'est assez curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une destinée... Parce que quand on a le goût de la chose, quand on a le goût de la chose bien faite, le beau geste, parfois on ne trouve pas l'interlocuteur en face, je dirais, le miroir qui vous aide à avancer. Alors ce n'est pas mon cas, comme je le disais là, puisque moi au contraire, j'ai pu ; et je dis merci à la vie, je lui dis merci, je chante la vie, je danse la vie... Je ne suis qu'amour ! Et finalement, quand beaucoup de gens aujourd'hui me disent "Mais comment fais-tu pour avoir cette humanité ?", eh ben je leur réponds très simplement, je leur dis que c'est ce goût de l'amour, ce goût donc qui m'a poussé aujourd'hui à entreprendre une construction mécanique, mais demain, qui sait, peut-être seulement à me mettre au service de la communauté, à faire le don, le don de soi..."

Voilà c'est bien ce qui me semblait j'ai trouvé le livre.

"cours de danse pour adultes et élèves avancés" un roman d'hrabal.

Une seule phrase en 97 pages !

Encore mieux Mathias enard à publié son roman "zone" une seule phrase pour 500 pages en 2008.

Je pensais que cela avait déjà fait l'objet d'une anecdote mais il semble que non.

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Moi je pense que l'important c'est pas le nombre de mots ni même la longueur de la phrase, mais son contenue...

a écrit : Moi je pense que l'important c'est pas le nombre de mots ni même la longueur de la phrase, mais son contenue... Je pense que le auteurs qui sont capables de faire un livre entier en une phrase, bien qu'appreciant la performance de ne le faire qu'en une seule phrase, doivent avant tout chercher à raconter une histoire et au delà de ça pour les auteurs modernes, à vendre leur livre.... Donc je ne m'inquiète pas trop du contenu. D'ailleurs le livre de hrabal à de bonnes critiques de ce que j'ai pu voir.

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D'abord, et vous en conviendrez, rien n'est moins réducteur que de juger la qualité d'un texte à la longueur de ses phrases.
Réducteur, mais pas vain...
La ponctuation, le verbe, le mot, l'adjectif ou le complément ne peuvent -malgré l'élégance de leur agencement, rendre la complexité (ou fixer la fugacité) de la pensée. Aussi, l'écriture, les arts ou la parole sont des simplifications du réel. C'est ce qui en fait leur noblesse, car celui qui s'exprime bataille pour le faire.
Ainsi, en enrichissant ou en simplifiant la forme, on ne fait qu'étoffer ou modifier l'essentiel, et c'est là la genèse du style: la poursuite de l'inénarrable.
Alors phrasons, paraphrasons, ponctuons et discutons-en, nous ne sommes pas arrivés!

a écrit : J'ai tenu 25 lignes ! Record à battre Je me suis arreté à "Sans honneur..."

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Un professeur de français m'avait raconté que Proust écrivait de telles phrases, car il était asthmatique et avait parfois du mal à respirer...
Pour ma part, j'ai du reprendre un peu d'oxygène à la fin de sa phrase !

Je sais de source sûre que Marcel Proust souffrait d'asthme. Je pense qu'il est décédé en se relisant.

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Je ne sais pas si l'équipe de SCMB a bien lu la phrase de Proust ; si c'est le cas, je vous félicite. Remettre au goût du jour une tirade violemment antijudaïque et anti-maçonnique - ce que l'on appellerait aujourd'hui, à tort, 'antisémite' (des cerveaux malades y verraient même de l'homophobie), est un bel acte d'émancipation intellectuelle.

Tant que la phrase est bien structurée et peut-être lue à voix haute (en y plaçant des virgules et des points virgules), on peut faire une phrase aussi longue que l'on le veut, a condition que cela ait un minimum d'intérêt.
Personnellement, j'ai tenu seulement 8 lignes.

Les phrases trop courtes sont aussi à éviter : Ca scinde le récit en petites parties et c'est très désagréable à lire ~

Il y a aussi le monologue de lucky, dans en attendant godot, de Samuel beckett.
Je ne sais pas combien de mots il représente, mais il fait 2-3 pages ne contient aucune ponctuation.

et on dit que je suis bavard... le mec pour une speed date il est grille, mais bravo l'artiste, beaucoup de conviction.

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a écrit : J'ai tenu 25 lignes ! Record à battre J'ai tout lu mais j'ai rien compris, donc au final pas mieux

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a écrit : Avouez qui a lu cette phrase en entier? Haha moi (par defit de moi meme) mais sans comprendre...

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